Le canton de Genève est doté depuis 1992 de lois permettant aux patients admis en département de psychiatrie de pouvoir être accompagnés pendant toute la durée de leurs séjours en hôpital et des procédures en rapport avec celui-ci par une personne agrée par le Conseiller d’État en charge du département de la santé.
A l’origine, et avant d’être relayé par les pouvoirs publics, c’est le décès d’un patient en chambre fermée qui a incité les associations et défenseurs des droits des patients déjà convaincus par la nécessité d’une transparence hospitalière à mettre en place une possibilité d’intervention extérieure – droit à l’accompagnement pour les personnes hospitalisées en psychiatrie. Les premiers accompagnants, désignés sous l’appellation légale de conseillers accompagnants, ont donc étés choisis par ces mêmes collectifs d’associations avant d’être nommés par arrêté du Conseil d’État.
Cette particularité est importante car elle ancre le droit à l’accompagnement dans des bases sociétales et associatives.
De fait, et alors que leur nomination est individuelle, les conseillers accompagnants se sont immédiatement constitués en une entité soudée autour de deux grands axes de travail. Primo la permanence téléphonique qui permet aux personnes hospitalisées de faire leur demande, et secundo des réunions bimensuelles entre accompagnants. A cela il faut encore ajouter le système de calendrier de permanence qui permet d’assurer un accompagnement 365 jours par an.
L’identité des conseillers accompagnants s’est encore renforcée en 2004 avec la volonté de développer le poste de la personne responsable de la permanence téléphonique en engageant une éducatrice spécialisée comme coordinatrice. Les conseillers accompagnants sont des personnes professionnellement diplômées exerçant une activité professionnelle en lien avec la santé mentale (psychologue, ergothérapeute, éducateur, etc.) le plus souvent dans un lieu d’origine associative. Le temps manquait pour favoriser les échanges et la communication avec les diverses instances institutionnelles ainsi qu’avec les partenaires associatifs.
L’engagement d’une personne de lien et de référence à permis ce développement nécessaire au bon fonctionnement du droit à l’accompagnement, tout en renforçant la dynamique interne entre accompagnants.
Enfin, l’entité des conseillers accompagnants s’est constituée en association en 2009. Cette adoption a consolidé encore notre possibilité d’affirmation sur le terrain du partenariat.
La permanence téléphonique
C’est le pivot autour duquel s’articule tout le fonctionnement. La permanence permet aux appelants d’avoir rapidement une première écoute permettant à chacun d’exposer les interrogations, les difficultés, les désaccords, les colères et les détresses rencontrées au cours de l’hospitalisation.
A ce stade, il est déjà possible de donner des éléments de réponses sur les actions pouvant être entreprises, et de rassurer les personnes demandeuses de la prise en considération de leurs problématiques.
Les motifs d’appel sont nombreux et souvent pluriels : plaintes concernant l’hospitalisation, désaccord avec le traitement, demande de sortie, de plus de liberté, de permissions, placements civils et pénaux, la liste est longue. Toutes les demandes d’accompagnement sont rapidement transmises au conseiller de permanence qui deviendra ainsi le référent de la personne en demande. Ce référent assurera l’accompagnement aussi longtemps que cela demeurera nécessaire, ce qui peut être très long dans le cas d’un placement pénal par exemple.
Les réunions bimensuelles
Ces séances permettent de faire le point et de réfléchir conjointement à la complexité des situations en cours et au suivi qui peut être proposé. Elles sont strictement confidentielles. Hormis les PV de ces réunions, non nominatifs, aucun dossier n’est constitué. A la fin de l’accompagnement, qui peut est être motivé par la résolution des demandes ou tout simplement par la fin de l’hospitalisation, le conseiller accompagnant de référence établit une fiche. L’ensemble de ces fiches servent de base de données à notre rapport d’activités.
Ces séances permettent également d’accorder les points de vues plus généraux sur les modes d’interventions et les questions liées aux difficultés rencontrées sur le terrain. Elles permettent aussi de construire un code déontologique applicable à tous. Cette expérience partagée lors de nos réunions permet de construire des principes d’intervention garantissant le respect de l’individu et de ses droits. Elle permet donc de répondre le plus adéquatement aux doléances qui nous sont présentées.
Cadre déontologique
Les différents cadres légaux – à Genève l’article 38 de la loi K 1 03 et le règlement sur les institutions de santé K 2 05_06 – attestent du droit à l’accompagnement et définissent le cadre de ce droit, mais pas sa pratique. Les interventions des Conseillers Accompagnants sont contenues dans l’application des droits en vigueur, mais guidées par les connaissances personnelles et professionnelles de chacun. C’est pour cela que le choix des conseillers est primordial et nous défendons, depuis le départ, le droit à des choix de collégialité. Bien que nous fonctionnions entre nous dans l’échange et la communication, chaque conseiller accompagnant est de fait responsable de la bonne marche de ses interventions auprès des patients et du corps médical ou infirmier. Et chacun d’entre eux est aussi un représentant de l’ensemble des accompagnants, d’où l’importance de conserver une qualité d’échange interne et un esprit d’équipe.
Dans la pratique
Le droit nous autorise l’accès aux personnes hospitalisées sans autre condition que la manifestation d’une volonté, traduite dans l’expérience genevoise par la prise de contact à la permanence.
Par la suite chaque demandeur est libre de mettre fin ou suspendre l’accompagnement ; d’accepter ou de refuser une proposition de médiation. Chaque accompagnant est aussi libre de proposer une fin ou une suspension d’accompagnement quand la ou les doléances sont résolues, tout en gardant la possibilité d’une reprise de suivi si nécessaire.
Cette liberté dans un système hospitalier par définition contraignant – et pas seulement pour les patients – permet de créer un interface qui peut aider à apaiser les tensions entre les patients et les système de soins. D’ailleurs ce sont les patients en entrée non volontaire qui forment environ le 95 % des demandeurs d’accompagnements, alors qu’ils ne représentent que le 30 % environ du total des 3500 hospitalisations annuelles genevoises.
Relations avec les professionnels du département de santé mentale
Depuis les premières interventions en 1992 et les craintes, nous espérons levées, d’introduire « le loup dans la bergerie », nous essayons de travailler en bonne intelligence avec les soignants. L’accompagnement n’est pas un organe de contrôle et notre éthique d’intervention se veut constructive.
Cependant le droit est lacunaire, et prévoit seulement que le médecin « ne peut s’opposer à la présence d’un accompagnant » ce qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations possibles en matière de collaboration, alors que pour pouvoir répondre aux diverses demandes il est nécessaire de pouvoir rencontrer médecins et infirmiers. Depuis l’automne 2014, nous avons obtenu que des définitions d’accès aux patients et aux soignants soient intégrées à l’aide mémoire du médecin.
L’accompagnement un droit virtuel ?
Le droit à l’accompagnement est vain s’il n’est pas précédé d’un solide travail d’information sur le terrain. Là encore la loi est pauvre et prévoit seulement que les unités « tiennent à disposition la liste des accompagnants ». Depuis quelques années nous demandons aux personnes comment elles ont eu connaissance du droit à l’accompagnement. Le résultat est que les gens voient principalement le matériel édité par nos soins (flyer et affichette). La fameuse liste officielle n’est presque jamais nommée. Et bien peu ont étés informés par le personnel soignant. Après plus de 20 ans de présence il y a encore des besoins de renforcement dans l’exercice du droit à l’accompagnement.
Pascale Isoz Louvrier, coordinatrice de 2005 à 2019.